Ma mère m’avait alors crié à l’époque que c’est un secteur de fous, de drogués, de bon à rien… Bref, que c’est le nid de tous les oiseaux de mauvais augure existant sur la terre ! Comme le laisse entendre d’ailleurs François Mauriac : « En dehors de mon métier d'écrivain, je ne suis bon à rien. En conséquence, on peut dire qu'un bon à rien peut facilement devenir un écrivain ».
Quant on sait pourtant que le sanctuaire de la culture – excusez-moi du peu ! – n’était pas foulé par n’importe quel artiste comme cela se remarque de nos jours. Voilà ce qui expliquait en réalité la rareté de ces derniers fréquentant ce milieu. Non seulement ils étaient rare en nombre mais également ils semblaient être doté d’un esprit très rare. Mieux, je dirais que ces rares artistes savaient faire des choses qui forçaient l’admiration au point que cela suscitait la curiosité de leur entourage. Tout ce qu’ils entreprenaient relevait du génie, et donc inimitable. Du reste, ces artistes hors pairs semblaient être inspirés par une force intérieure qui les amenait à produire des choses extraordinaires, à la limite même inimaginable par l’esprit humain. D’où le fait que le commun des mortels, ne sachant pas comment interpréter ce phénomène, les qualifiaient tout simplement de fous et préféraient garder leur distance vis-à-vis d’eux. En témoigne cet autre exemple donné par Paul Auster, dans un entretien publié par Lire en février 2007 et réalisé par François Busnel : « Bien sûr que nous sommes comme tous les autres hommes, mais le travail que nous accomplissons est très spécial, très étonnant. La plupart des gens ne passent pas leur temps à vivre dans un monde imaginaire : leur travail est dédié à des activités quotidiennes, souvent répétitives, très terre à terre. Les écrivains, et particulièrement les romanciers, créent des choses qui n'existent pas. Ils sont donc différents de la plupart des gens qui font, au quotidien, ce qui existe.
Toujours dans le même ordre d’idée, Georg Christoph Lichtenberg (Le miroir de l’âme) défendait cette cause en disant que : « le rôle véritable de l'écrivain envers les hommes est de dire sans relâche ce que les hommes insignes ou, en général, ce que la majorité pense ou ressent sans le savoir. Les auteurs médiocres ne disent que ce que chacun aurait dit ».
Et Mac Orlan (Œuvres complètes) d’ajouter : « Toi par le fait que tu es un écrivain ou un peintre, tu es un mystère social ».
Mais qu’est-ce qui explique alors cet engouement soudain des hommes envers ce qui n’était rien qu’hier un fourre-tout, sauf du meilleur bien entendu, en l’occurrence la culture ? Peut-on être certain qu’avec une telle effervescence on ne risque pas d’y enregistrer des brebis galeuses ? Evidemment, si cela ne l’est déjà ! La preuve en est qu’on à du mal à distinguer un vrai artiste du faux de nos jours. Ce n’est pas la peine de me demander s’il existe de faux artistes, parce que je vous répondrai qu’il en existe bel et bien. Si l’on part du fait qu’un artiste se définit comme une personne faisant de son art son âme et non un passe-temps favori ou un moyen d’arrondir ses fins de mois, vous convenez donc que les fauteurs de trouble existent. Parce que pour moi ils en sont. N’est-ce pas ce qui explique la grande confusion au sein de l’incompréhensible sphère des penseurs d’art devenu j’allais dire en quelques mots prêt le site des chercheurs d’or. D’Alembert n’a-t-il pas souvent écrit au sujet des écrivains pour ne prendre que cet exemple toujours « qu’il existe partout des gâte-métiers et cet écrivain en est un » – on ignore malheureusement de qui il s’agissait. Voilà ce que Karl Kraus nous dit encore sur ce sujet : « Il y a deux sortes d'écrivains. Ceux qui le sont, et ceux qui ne le sont pas. Chez les premiers, le fond et la forme sont ensemble comme l'âme et le corps ; chez les seconds, le fond et la forme vont ensemble comme le corps et l'habit ».
Pour vous illustrez ce que je viens de dire, prenons un exemple terre à terre comme on dit. Considérons le vrai artiste, une pharmacie, le faux, une simple boutique de quartier. À première vue, tous les deux semblent avoir pour dénominateur commun la quête d’argent n’est-ce pas. Mais à y regardez de très prêt, vous verrez que la première citée, c’est-à-dire la pharmacie et donc le vrai artiste, focalise son action beaucoup plus sur le social et non sur le goût du lucre. Car elle ne proposera jamais un produit à sa clientèle sans prendre soin de mûrir d’abord sa réflexion sur son bien-fondé. Elle s’accaparera de la maîtrise totale de son produit, s’assurera de son efficacité, sinon du mal qu’il est à même de combattre, avant de le tendre au consommateur lambda. En un mot, la pharmacie ou le vrai artiste s’imprègne d’abord de la valeur réelle de son produit avant de le vendre. Cela s’appelle du professionnalisme ou de l’inspiration. Dans ce cas de figure, l’argent est mis de côté et n’intervient que pour soutenir la pérennité de l’existence de la pharmacie ou de l’artiste pour le permettre de continuer à proposer de bons produits ou de belles œuvres. Nicolas Boileau dans l’Art poétique en 1974 disait ceci : « Travaillez pour la gloire, et qu'un sordide gain ne soit l'objet d'un illustre écrivain ».
Et Cioran de renchérir : « Rien ne stérilise tant un écrivain que la poursuite de la perfection. Pour produire, il faut se laisser aller à sa nature, s'abandonner, écouter ses voix..., éliminer la censure de l'ironie ou du bon goût... »
Cependant, la boutique ou le faux artiste vous vendra son produit sans se soucier de tout cela. Tout le monde reconnait avoir déjà acheté un produit de mauvaise qualité dans une boutique sans pouvoir le retourné. Parce que le commerçant n’a pas d’état d’âme. C’est son argent ou rien. C’est pareil pour le faux artiste, il vous vend des bricoles à la place de bonnes œuvres et passe malgré tout pour un vrai artiste. Tout simplement parce qu’il arrive à tirer son épingle du jeu à travers la distribution de ses produits de pacotille auprès d’une clientèle qui ne se fait pas aussi prier pour en acheter. Car elle y trouve son compte à moindre effort, pour ne pas dire à moindre frais. La revue Mélanges Littéraires ne déplore-t-elle pas cela en ces termes : « Que la postérité serait surprise de voir les Voltaire et les Montesquieu déchirés dans la même page où l'écrivain le plus médiocre est célébré ! »
Pas étonnant aussi que la fierté de ces artistes de pacotille soit de courte durée. Pour illustrer cela, revenons encore sur l’exemple de la pharmacie (le vrai artiste) et de la boutique (le faux artiste). La première vivra aussi longtemps tant que son œuvre restera sociale. En un mot le vrai artiste travaille pour le fond et non pour la forme. Par contre, la boutique finira par mettre la clé sous le paillasson dans une courte durée pour abus de confiance à sa clientèle. Le temps passe vite, or le temps est l’ami du bien ! Je ne vous apprends rien en disant que la vérité finit toujours par se révéler au grand jour ! Ne faites jamais comme ce “artiste-boutique’’ qui s’empresse de rentrer dans le sérail artistique sans posséder un minimum de bagage en la matière. Certains artistes musiciens de nos jours, pour éviter de les citer, pensent qu’il suffit de donner de la voix pour accoucher d’une œuvre. Tenez, la teneur de certaines de leurs chansons relève tout bonnement d’une médiocrité inimaginable qu’on a du mal à croire en la sincérité de leur producteur ou distributeur, j’ajouterai même de leur promoteur sur le plan audio-visuel. Optons plutôt pour le profil de “l’artiste-pharmacie’’. Pour paraphraser Boulgakov disant qu’un écrivain ne se définit pas du tout par un certificat, mais par ce qu'il écrit. De même un artiste musicien ne se définit pas par son charme ou sa beauté mais par son talent.
Si vous venez dans le monde de la culture en ayant à l’esprit ces propos de Christian Bobin : « Ce n'est pas pour devenir écrivain qu'on écrit. C'est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour », eh bien, vous y serrez reçu comme ce dernier l’a encore dit : « un écrivain est grand non par lui-même mais par la grandeur de ce qu'il nomme, et je ne sais pas d'autre grandeur que celle de la vie faible, humiliée par le monde ».